Extrait d’une interview donnée à Dominique Barreau pour Forbes

Quel a été le déclencheur de votre aventure entrepreneuriale ?

Très jeune, mon objectif a été d’entreprendre. J’éprouvais un fort besoin de liberté, et de toucher à tout. Je suis donc très vite devenue « slasher » : je cumulais plusieurs jobs, plusieurs entreprises que je créais pour la plupart, et plusieurs réseaux. Cette multiplicité me semblait réduire la prise de risque ou me permettait de l’augmenter si nécessaire. Et puis je pouvais toucher du doigt des activités très différentes.

Bien sûr, cette liberté n’est pas sans prix ni sacrifices. J’ai souvent travaillé pendant des années sur mes projets sans avoir de rémunération. D’où la nécessité d’avoir plusieurs sources de revenus. En parallèle, il m’a toujours semblé important de partager mon expérience : entreprendre, c’est aussi confronter ma pratique entrepreneuriale au monde de la recherche, et surtout transmettre aux étudiants et futurs entrepreneurs mes connaissances théoriques et pratiques.

Quel a été votre premier projet marquant ?

En 2006, je me suis investie dans le secteur de la santé numérique avec plusieurs projets de start-up. L’un de ces projets concernait le lancement de l’extension « .med », lancé en 2011 à l’international, afin de garantir un label des informations santé sur l’Internet. Cet actif a été racheté en 2015 par un groupe américain leader du secteur dont les valeurs en matière de développement du projet étaient en phase avec les nôtres.

D’autres projets concernaient le développement d’une plateforme déjà leader en France qui correspond à un LinkedIn pour les professionnels de santé ou encore un annuaire santé, PagesMed, qui a un très beau trafic et est actuellement en voie de développement international.

En parallèle, il m’a semblé essentiel de pouvoir comprendre les déterminants de l’action collective en ligne des patients connectés et j’en ai fait un thème de recherche pendant 8 années sur deux thèses. La motivation était scientifique (apport à la connaissance académique) mais aussi managériale (aider les acteurs du secteur à comprendre les comportements des patients en ligne). La recherche amène à l’humilité, surtout lorsque l’on est confronté aux personnes qui portent la souffrance au quotidien et s’illustrent pourtant par des actions de partage et de générosité envers leur communauté virtuelle.

Revenons sur votre expérience en tant qu’entrepreneure. On dirait que vous avez trouvé la recette du succès.

Parce que j’ai beaucoup trébuché dans mon parcours sans doute ! En tant que Professeur Affiliée, je parle souvent à des jeunes qui veulent créer leur entreprise. C’est une aspiration grandissante. Chaque cas est différent, et il faut nuancer les conseils en fonction de la force de caractère, de la capacité de résilience… Même quand on est bien entouré et que l’on vit sainement, on est rarement préparé à des situations tendues ou conflictuelles ! Mais avec l’expérience, je leur propose surtout de voir chaque situation problématique comme une opportunité, une précieuse mise en tension qui offre le cadeau (parfois avec des doutes, voire de la douleur…) d’utiliser ou de développer certaines compétences. Et puis, c’est souvent au pied du mur qu’on découvre les personnalités. Je leur propose donc d’envisager les coups durs comme autant d’opportunités de découvrir les personnes ou collaborateurs. À titre personnel, je n’évite pas – ou plus – les conflits, je m’efforce de faire face, sans plier, sans faire de compromis sur mes valeurs. C’est souvent très révélateur de soi et des autres.

J’ai moi-même été confrontée à ces moments où plus rien ne va, où la situation semble désespérée, où on doute de tout… et puis tout d’un coup, vous savez ce que vous devez faire, comme une évidence ! Aujourd’hui, je vois arriver chaque nouveau problème avec une grande curiosité, et j’attends l’intuition stratégique. Que va-t-elle m’apprendre, me révéler ? Où va-t-elle me conduire ?

Il faut savoir reconnaître et utiliser cette énergie a priori négative pour la transformer en énergie positive, se réveiller et booster ses compétences.

De vulnérabilité en vulnérabilité, on se construit une certaine forme de résilience ! C’est un travail à faire sur soi en se mettant en position d’observateur : même quand on est contrarié, il faut savoir dissocier les faits (ce sur quoi on peut agir) des émotions provoquées par la situation. Cela permet de relativiser et d’identifier l’étincelle, même si elle est timide.

Etre femme et entrepreneure, c’est facile en 2018 ?

Jusqu’à très récemment, malgré l’omniprésence des comportements à caractère sexiste, cela faisait partie de mon quotidien. Dans la rue, dans les bureaux. Je naviguais, jusqu’à l’oublier.  Quand on est une femme entrepreneure, il y a des précautions à prendre, des susceptibilités à ménager, des handicaps à surpasser. Les questions de légitimité sont souvent prégnantes.

Depuis quelques temps, quand je suis en groupe, je note les remarques sexistes et je me surprends à inverser les genres des individus. Je transforme les femmes en hommes et les hommes en femmes, et je comprends l’ampleur du décalage. Je m’aperçois ainsi qu’il y a des usages qui se sont installés au fil du temps que je retrouve peut-être moins dans certaines autres cultures, ou dans d’autres environnements professionnels lors de mes déplacements à l’international. Sans pour autant généraliser, je trouve ces “petites notes dissonantes sexistes” encore très présentes en France. C’est une petite pollution quotidienne dont les femmes pourraient bien se passer, aussi bien en entreprise que dans leur vie privée.

On dirait que vous n’arrêtez jamais ! Où puisez-vous votre énergie au quotidien ?

Après avoir vendu ma dernière start-up, j’ai coché, sans modestie, la case « réussite entrepreneuriale ».

Cette vente m’a boostée, j’étais heureuse de cette réalisation. Je continue le parcours d’entrepreneure mais peut-être avec de nouvelles motivations. L’humain redevient essentiel, même s’il a toujours été présent en fil rouge dans mes recherches. Ce qui me fait le plus avancer, c’est la rencontre de belles humanités : la beauté, la bonté et l’intelligence d’hommes et de femmes, leur vision humaniste du monde. Les différences culturelles et générationnelles me nourrissent et m’interpellent. C’est pourquoi toutes les formes d’actions collaboratives me passionnent !