Alexandre Adler, que l’on écouterait pendant des heures sans la moindre lassitude, évaporée au fil de ses mots, pensées et projections passionnantes…nous transporte au-delà du temps et des frontières pour nous apporter sa vision des perspectives géopolitiques concernant les Etats-Unis.

Selon lui, l’Amérique, devant les difficultés qu’elle rencontre actuellement, est capable de se remettre en cause. C’est une nation d’ingénieurs qui reste encore capable sur le plan technologique d’inventer et sur le plan politique de remplacer une base dirigeante qui ne ferait pas l’affaire. Aucun des fondements de la puissance américaine n’est véritablement entamé de manière décisive. Elle possède encore aujourd’hui un avantage technologique important, un dynamisme démographique tangible et une puissance politique et financière unifiée avec des élites formées. Même l’instrument militaire s’est avéré moins mauvais que ce que l’on aurait pu craindre, notamment en Afghanistan et en Irak où finalement l’Amérique ressort de ces affaires, certes en difficulté globale, mais nullement vaincue militairement comme elle aurait pu l’être au Vietnam.

Mais les Etats-Unis n’ont plus les moyens de la puissance mondiale telle qu’ils la concevaient auparavant. Le poids des engagements militaires, de leurs infrastructures sont simplement insupportables pour un pays dans lequel les engagements divers et variés de la politique intérieure excluent que l’Amérique se transforme en une économie de guerre. Elle serait d’ailleurs la seule à le faire, la Chine rejetant cette stratégie. La Chine opère une défense asymétrique. Les Chinois s’intéressent à tout ce qui peut économiser de l’argent en matière de défense comme par exemple la lutte contre les hackers ou l'installation de missiles basés à terre pour interdire à certains navires d’approcher trop près de leurs côtes. Selon Alexandre Adler, l’Amérique réalise qu’elle n’a plus les moyens avec les déficits budgétaires actuels d’entretenir cette armée. D’ailleurs, les coupes franches ont commencé et ce n’est qu’un début. En fait avec un budget militaire restreint, l’Amérique est obligée aussi de penser à un rôle stratégique plus faible. Et puis, une raison peut-être plus forte de cette mutation américaine, c’est qu’après la mort d’Oussama Ben Laden qui est aussi l’autre grand symbole de l’année 2011 avec sa perte du triple A, l'Amérique n'a plus d’adversaire majeur. C’est une déclaration qui peut paraître particulièrement discutable car aujourd’hui, nous sommes à deux doigts d’une « shooting war » avec l’Iran, une menace sur le détroit d’Ormuz et une révolution démocratique dans le monde arabe qui tourne à la révolution islamique. Mais même si cela fait beaucoup d’adversaires, il ne faut pas se fier aux apparences, l’Amérique a bien perdu tous ses adversaires majeurs.

La Chine peut donc certainement devenir une très grande puissance face aux Etats-Unis, mais les Etats-Unis n’ont pas les moyens militaires de l’enrayer puisque cela repose sur sa productivité, son marché intérieur, des facteurs durables, et non pas sur une politique militaire particulièrement agressive. L’Inde peut se préoccuper de la puissance militaire chinoise, mais pour les Etats-Unis, ce n’est pas une priorité essentielle. La fin de la Corée du Nord qui, selon Alexandre Adler, viendra plus vite que prévu, éliminera le dernier facteur de perturbation militaire réelle en Asie. Il reste le Moyen-Orient qui est sur une poudrière avec des contradictions explosives, à ceci près que tout cela ressemble non pas à une stabilisation, mais à une modification profonde des bases même de la situation. Ce qui est certain, c’est que l’islamisme qui est en train de prendre le pouvoir sur une partie importante du monde arabe et probablement au Pakistan n’est pas un islamisme qui se donne les Etats-Unis comme adversaire principal. Aujourd’hui, l’objectif des forces islamistes est de réduire la puissance de Bachar el-Assad, parce qu'il est l’allié des Iraniens. Les Américains, selon Alexandre Adler, ne souhaitent donc pas mettre le Moyen-Orient à feu et à sang. L’Arabie Saoudite, avec la retraite pour raisons de santé du roi Abdallah, évolue elle aussi vers un retour à ses fondamentaux islamistes. Le Pakistan assiste à la fin de la dynastie Bhutto. Le roi du Maroc qui est un allié solide de l’occident a pris un premier ministre islamiste. La Tunisie est aujourd’hui gouvernée par les islamistes… Aujourd’hui, les Américains n’aiment pas nécessairement les islamistes, mais ils ne les perçoivent plus comme des adversaires stratégiques, d’autant plus que les Frères musulmans sont aujourd’hui vigoureusement opposés à une hégémonie iranienne fondée sur le passage de l’Iran au stade nucléaire.

Donc, aujourd’hui, pour peu que les Frères musulmans égyptiens adoptent un code de conduite modéré, que la crise iranienne se résolve sans conflit généralisé, il n'existe plus de menace qui permette à un Président des Etats-Unis de déployer un arsenal militaire garant des démocraties. L’Amérique redécouvre alors l’isolationnisme pour se concentrer sur son redressement.

 

Alexandre Adler est, entre autres, un expert APM

Synthèse de la Rencontre du Club "Paris Point du Jour" du 17 janvier 2012