couv_RESEAUX_183.inddDominique Pasquier, sociologue et Directrice de recherche au CNRS signe un article très intéressant[1] dans la revue Réseaux parue début avril 2014. Elle y parle des évaluations en ligne, des enjeux de l’opinion mining, du profil des évaluateurs dits profanes, de la confiance qui peut être accordée à ces derniers et du caractère prédictif du buzz suscité par ces appréciations. 

Dominique Pasquier, citant l’étude 2011 de Pinch et Kesler, s’efforce d’identifier les motivations des contributeurs par leurs profils. Cette étude détermine les plus ardents commentateurs d'Amazon, les raisons de leurs investissements dans l'examen de dizaines de milliers de produits, et leurs impacts sur les consommateurs.

Sur 1000 évaluateurs, les 166 les plus actifs sont étudiés à la loupe. Ils vivent pour majorité aux Etats-Unis (89%), sont principalement des hommes (70%), éduqués (92% ont un niveau licence), répartis pour le plus grand nombre dans les tranches d’âge 41-50 (27%) et 51-60 (34%). Leur activité est le plus souvent en lien direct avec le produit évalué comme l’indiquent les catégories socio-professionnelles. Leurs motivations varient de la recherche de gratifications personnelles à matérielles. Cependant, la réputation des critiques, notamment pour les blogueurs, les lient si fortement aux marques que leur liberté d’expression s’en trouve souvent questionnée[2].

                                             Occupation

L’auteure souligne d'ailleurs les risques d’instrumentalisation de cette idéologie de culture participative sur fond de démocratisation des prises de parole et de promotion de l’intelligence collective sous le prétexte de récupération de la valeur commerciale des métadonnées associées.[3]

L’auteure y voit trois autres biais qui pourraient décrédibiliser ces pratiques d’évaluations profanes.

#1 Participation inégale des internautes

« Il y a un fort déséquilibre dans l’intensité de la pratique, avec un petit nombre d’internautes très actifs opposés à un grand nombre d’autres qui n’interviennent que ponctuellement. Beauvisage et al. ont du coup raison de demander : ‘’quand beaucoup notent peu et peu notent beaucoup, l’évaluation participative constitue-t-elle un socle solide et stable pour l’évaluation ?’’[4]  »

#2 Forte déperdition de l’information

L’attention restant fortement volatile, comme trop souvent sur l’Internet, les notes priment sur les commentaires qui ne reçoivent que peu d’intérêt et donc de lecteurs. Cette particularité n’est par ailleurs pas linéaire selon les biens évalués. [5]

#3 L’escalade d’évaluation

Les précédents commentaires et notes ont une incidence sur ceux à venir, d’autant plus lorsqu'un consensus vient à émerger  :

« Plus les contributeurs sont nombreux, plus l’envie de participer à son tour est forte. Le fait que les sites affichent le nombre de commentaires a aussi une influence sur la propension à poster. On peut parler de logique cumulative : c’est la notion d’insiderness développée par Bill Wasik[6], le désir d’en faire partie. »

 

Une question se pose alors, ces phénomènes n’étaient-ils pas déjà observables avant l’ère digitale ? Certainement, mais l’Internet joue encore ici le rôle d’un formidable catalyseur amplifiant les phénomènes observés dans la vraie vie. Et de conclure sur l’influence de ces évaluations profanes sur le comportement des consommateurs, Dominique Pasquier reste plus que réservée. Les liens forts – tels que définis par Granovetter[7] – restant les plus influents, la diffusion de ces informations par cette majorité de personnes liées faiblement n’aura que peu d’influence sur les choix. Un argument supplémentaire qui privilégie les communautés virtuelles et ses liens forts assurant la crédibilité des sources.

Références


[1] Dominique Pasquier, « Les jugements profanes en ligne sous le regard des sciences sociales », Réseaux n° 183, no 1 (1 avril 2014): 9‑25.

[2] Sidonie Naulin, « La blogosphère culinaire », Réseaux n° 183, no 1 (1 avril 2014): 31‑62.

[3] David Beer, « Power through the Algorithm? Participatory Web Cultures and the Technological Unconscious », New Media & Society 11, no 6 (9 janvier 2009): 985‑1002.

[4] Thomas Beauvisage et al., « Le succès sur Internet repose-t-il sur la contagion ? Une analyse des recherches sur la viralité », Tracés. Revue de Sciences humaines, no 21 (1 décembre 2013): 151‑166.

[5] Ibid.

[6] Bill Wasik, And Then There’s This: How Stories Live and Die in Viral Culture, Reprint edition (Penguin Books, 2009).

[7] M. Granovetter, « The strength of weak ties: A network theory revisited », Sociological theory 1, no 1 (1983): 201‑33.